Ixelles ou le théâtre vivant des nations

Article - Ixelles Developpement - Ixelles ou le théâtre vivant des nations

Chers lecteurs,

Chers membres, 

Chers amis,

Réfléchissons aujourd’hui, à la vue de cette commune bruxelloise et de ses artères cosmopolites, sur ce phénomène singulier qui transforme un territoire en mosaïque vivante. Que ces rues nous convainquent de la richesse humaine, pourvu que ces places, où se côtoient tous les jours des cultures d’un si grand prix, nous apprennent en même temps l’art du vivre-ensemble. La commune que nous contemplons sera un témoin fidèle de cette harmonie. Voyons ce qu’une diversité assumée lui a apporté ; voyons ce qu’une politique d’ouverture lui a donné. Ainsi nous apprendrons à valoriser ce qu’elle a cultivé avec patience, afin d’attacher toute notre estime à ce qu’elle a embrassé avec tant d’ardeur, lorsque son âme municipale, épurée de tous les préjugés de l’uniformité et pleine de cette richesse où elle touche, a vu la lumière toute manifeste de la pluralité.

Nous habitons tous, pourrait dire cette sagesse populaire dont l’expérience a loué la pertinence en maintes circonstances, sur cette même terre communale, et nous convergeons sans cesse vers ces mêmes espaces partagés, ainsi que des rivières qui se mêlent pour former un fleuve unique. En effet, nous ressemblons tous à ces courants culturels qui se rencontrent. De quelque prestigieuse origine que se prévalent les résidents, ils ont tous choisi une même destination ; et cette destination est Ixelles. Leurs traditions se côtoient successivement comme des vagues ; elles ne cessent de s’enrichir mutuellement ; tant qu’enfin, après avoir conservé un peu plus de leurs spécificités et traversé un peu plus d’épreuves les unes que les autres, elles vont toutes ensemble se sublimer dans un creuset où l’on reconnaît encore princes et citoyens, et toutes ces autres qualités précieuses qui distinguent les cultures ; de même que ces affluents tant célébrés gardent leur nom et leur gloire, mêlés dans le grand fleuve avec les ruisseaux les plus discrets.

Et certainement, mes chers lecteurs, si quelque chose pouvait élever une commune au-dessus de son statut administratif ordinaire, si la géographie qui nous est commune souffrait quelque distinction solide et durable entre ceux que l’histoire a rassemblés sur ce même territoire, qu’y aurait-il dans la région bruxelloise de plus remarquable que cette commune dont je parle ? Tout ce que peuvent créer non seulement la proximité géographique et les circonstances historiques, mais encore les grandes qualités de l’âme pour l’épanouissement d’une collectivité se trouve rassemblé dans la nôtre.

De quelque côté que je suive les traces de cette glorieuse diversité, je ne découvre que des richesses, et partout je suis ébloui de l’éclat des plus authentiques traditions. Je vois les communautés africaines, les plus chaleureuses, sans comparaison, de tout l’arrondissement, et à qui les plus anciennes populations peuvent bien céder sans envie, puisqu’elles tâchent de tirer leur vitalité de cette source intarissable d’humanité. Je vois les familles maghrébines, les familles européennes, qui ont prospéré depuis tant de décennies sur une des plus accueillantes communes de l’univers bruxellois plus encore par leur courage que par l’autorité de leurs papiers d’identité. Mais cette commune, née de l’histoire, avait l’esprit et le cœur plus large que sa délimitation administrative. Les défis de l’urbanisation contemporaine n’ont pu l’accabler dans sa transformation moderne, et dès lors on voyait en elle une grandeur qui ne devait rien aux hasards démographiques. Il appert que le destin l’avait façonnée, comme par prodige, pour accueillir les enfants du monde entier et les offrir à la Belgique : don précieux, inestimable présent ! Mais pourquoi cette évidence vient-elle m’interrompre ? Nous ne pouvons un moment arrêter les yeux sur la beauté de cette diversité sans que l’émotion s’y mêle aussitôt pour tout illuminer de sa splendeur.

I. Le tissage quotidien des cultures.

Dans le cadre de cette cohabitation remarquable, chaque rue d’Ixelles raconte une histoire particulière. La chaussée d’Ixelles elle-même, artère principale de cette effervescence, déploie sur ses flancs une succession de commerces qui témoignent de cette pluralité assumée. Ici, la boulangerie traditionnelle belge côtoie l’épicerie fine libanaise, là, le restaurant éthiopien dialogue avec la pizzeria napolitaine authentique. Cette proximité n’est point le fruit du hasard, mais bien celui d’une alchimie urbaine qui transforme la nécessité économique en opportunité culturelle.

Les marchés hebdomadaires constituent l’un des spectacles les plus saisissants de cette harmonie multiculturelle. C’est avec clarté que l’on peut constater que ces rendez-vous réguliers dépassent largement leur fonction commerciale première pour devenir de véritables agoras contemporaines. Les étals proposent tour à tour les épices du Maghreb, les légumes exotiques d’Afrique subsaharienne, les fromages artisanaux européens et les pâtisseries orientales. Cette abondance révèle une vérité fondamentale : la diversité alimentaire constitue l’un des vecteurs les plus puissants de l’intégration culturelle. Elle permet aux familles de conserver leurs traditions culinaires tout en découvrant celles de leurs voisins.

L’architecture même de la commune porte les stigmates bénéfiques de cette diversité. Les bâtiments Art nouveau, patrimoine historique de la commune, abritent désormais des associations culturelles venues des quatre coins du monde. Cette réappropriation de l’espace ne constitue nullement une profanation du patrimoine, mais plutôt sa renaissance sous une forme enrichie. Les salles communales résonnent tour à tour des rythmes congolais, des mélodies andalouses, des percussions brésiliennes et des chants traditionnels turcs. Cette polyphonie urbaine crée une symphonie unique dont chaque note contribue à l’harmonie d’ensemble.

L’enseignement, secteur névralgique de toute société, illustre parfaitement cette capacité d’adaptation créatrice. Les écoles ixelloises accueillent des enfants de toutes nationalités, créant ainsi des micro-sociétés où l’apprentissage de la différence commence dès le plus jeune âge. Les cours de récréation deviennent des laboratoires naturels d’échanges linguistiques et culturels. Cette mixité précoce forge des citoyens naturellement ouverts à l’altérité, préparant ainsi les générations futures à un monde globalisé.

II. Les festivals comme catalyseurs d’unité.

Le calendrier festif d’Ixelles révèle avec éloquence cette capacité remarquable de la commune à transformer la diversité en force créatrice. Chaque saison apporte son lot de célébrations qui puisent dans les traditions du monde entier tout en s’enracinant dans le terreau local. Le festival annuel des cultures, événement phare de ce dynamisme, mobilise pendant plusieurs jours l’ensemble de la population autour d’un projet commun de partage et de découverte.

Cette manifestation dépasse largement le cadre d’un simple divertissement pour devenir un véritable acte politique au sens noble du terme. Elle affirme avec force que la coexistence pacifique entre les cultures n’est pas seulement possible, mais qu’elle constitue une source inépuisable d’enrichissement mutuel. Les artistes locaux, qu’ils soient d’origine belge ou étrangère, y trouvent une scène d’expression privilégiée qui leur permet de faire connaître leurs créations à un public élargi.

Je pense que cette dynamique festive révèle une caractéristique fondamentale de l’âme ixelloise : sa capacité à créer du lien social par le biais de l’art et de la culture. Les ateliers participatifs organisés en marge des spectacles permettent aux habitants de s’initier mutuellement à leurs savoir-faire respectifs. Une grand-mère marocaine enseigne l’art du henné à des adolescentes belges, tandis qu’un père de famille polonais transmet les secrets de la sculpture sur bois à des enfants de toutes origines.

Cette transmission intergénérationnelle et interculturelle constitue l’un des piliers de la cohésion sociale ixelloise. Elle permet de dépasser les clivages générationnels autant que les barrières culturelles, créant des ponts là où d’autres communes ne voient que des fossés. Il est bien évident que cette alchimie ne s’opère pas spontanément, mais requiert une volonté politique claire et des moyens adaptés.

L’implication des associations locales dans l’organisation de ces événements témoigne de la vitalité du tissu associatif communal. Ces structures, souvent créées par et pour les communautés d’origine étrangère, ne se replient pas sur elles-mêmes mais s’ouvrent naturellement à l’ensemble de la population. Cette ouverture mutuelle crée un cercle vertueux où chacun apporte ses spécificités tout en s’enrichissant de celles des autres.

Les retombées économiques de ces manifestations ne sauraient être négligées, même si elles ne constituent pas leur finalité première. Les commerçants locaux, toutes origines confondues, bénéficient de ces afflux de visiteurs qui découvrent ainsi la richesse de l’offre commerciale ixelloise. Cette dimension économique renforce la durabilité du modèle en créant des intérêts convergents entre tous les acteurs du territoire ! Cependant, réduire ces événements à leur seule dimension économique serait passer à côté de leur véritable signification anthropologique. L’observation attentive de ces moments festifs révèle des phénomènes subtils mais fondamentaux de métissage culturel. Les danses traditionnelles s’enrichissent mutuellement, créant parfois de nouvelles formes chorégraphiques qui n’appartiennent plus à une culture particulière mais à la culture ixelloise émergente. Cette créolisation artistique constitue peut-être l’une des manifestations les plus fascinantes de ce laboratoire multiculturel qu’est devenue la commune.

Il va sans dire que cette effervescence culturelle ne va pas sans défis. La question de l’espace public, ressource rare en milieu urbain dense, se pose avec acuité lorsqu’il s’agit d’organiser simultanément plusieurs événements. La commune a développé une expertise remarquable dans la gestion de ces contraintes logistiques, transformant les difficultés en opportunités de coopération entre les différents groupes organisateurs.

La presse locale et régionale relaie régulièrement ces initiatives, contribuant ainsi à forger une image positive d’Ixelles au-delà de ses frontières administratives. Cette visibilité médiatique attire de nouveaux résidents sensibles à cette qualité de vie particulière, créant un effet d’attraction qui renforce encore la diversité de la population. D’une part, cette dynamique positive s’autoentretient, et d’autre part, elle pose la question de la préservation de cet équilibre subtil face à une éventuelle gentrification.

La question de la mémoire collective se pose également avec une acuité particulière dans ce contexte multiculturel. Comment préserver et transmettre l’histoire locale tout en intégrant les nouvelles mémoires apportées par les populations immigrées ? Ixelles a choisi une approche inclusive qui fait de cette pluralité mémorielle une richesse plutôt qu’un obstacle. Les monuments aux morts de la commune accueillent désormais des cérémonies commémoratives diverses, témoignant de cette capacité à élargir le récit collectif sans le dénaturer.

L’engagement civique des nouveaux arrivants constitue un autre indicateur de la réussite de cette intégration multiculturelle. Les listes électorales communales reflètent cette diversité, et les instances de participation citoyenne voient s’exprimer des voix multiples qui enrichissent le débat démocratique local. Cette participation politique effective démontre que l’intégration ne se limite pas aux aspects culturels ou économiques, mais englobe pleinement la dimension civique.

On peut remarquer avec aisance que cette réussite ixelloise ne relève pas du miracle mais d’une construction patiente et volontaire. Les politiques publiques communales ont su créer les conditions favorables à cette harmonie multiculturelle sans pour autant la contraindre dans des cadres rigides. Cette approche pragmatique, qui privilégie l’accompagnement plutôt que la directive, semble avoir trouvé un équilibre particulièrement fécond.

L’art de rue, expression spontanée de cette créativité multiculturelle, fleurit sur les murs d’Ixelles avec une créativité débordante. Ces œuvres éphémères ou durables racontent les histoires individuelles et collectives de cette population bigarrée. Elles constituent une forme de patrimoine vivant qui évolue constamment, reflet fidèle de la dynamique culturelle communale. Certaines de ces créations sont même devenues des points de repère touristiques, attirant des visiteurs curieux de découvrir cette expression artistique particulière.

La restauration, secteur d’activité emblématique de cette diversité, a vu naître des établissements qui proposent des cuisines fusion innovantes. Ces créations culinaires, nées de la rencontre entre traditions différentes, illustrent parfaitement la capacité créatrice de cette cohabitation multiculturelle. Un restaurant peut ainsi proposer des plats qui mêlent les saveurs méditerranéennes aux épices africaines, créant de nouvelles expériences gustatives qui n’auraient pu voir le jour sans cette proximité culturelle.

L’apprentissage des langues constitue un autre aspect remarquable de cette vie multiculturelle. Les écoles de langues privées prolifèrent, mais c’est surtout l’apprentissage informel qui frappe l’observateur attentif. Dans les parcs, sur les bancs publics, dans les files d’attente des administrations, s’improvisent des cours de français, d’arabe, de lingala ou de turc. Cette transmission linguistique spontanée crée des liens humains durables qui dépassent largement le cadre de l’apprentissage initial.

Sub conditione que cette dynamique soit préservée et encouragée, Ixelles pourrait bien devenir un modèle exportable d’intégration multiculturelle réussie. D’autres communes bruxelloises observent déjà avec intérêt cette expérience et tentent d’en reproduire certains aspects dans leur propre contexte. Cette dimension exemplaire ajoute une responsabilité particulière aux acteurs locaux, conscients que leur réussite dépasse le cadre strictement communal.

Pourtant, cette apparente harmonie ne saurait masquer les tensions qui subsistent, témoignant que cette construction reste fragile et nécessite une vigilance constante. Les questions liées au logement, à l’emploi ou à l’éducation peuvent parfois réactiver des crispations identitaires que la fête et la convivialité ne suffisent pas toujours à apaiser. Cette lucidité sur les limites du modèle n’en diminue pas la valeur, mais rappelle qu’aucune alchimie sociale n’est jamais définitivement acquise.

Dans cette perspective, l’engagement des générations nées sur le territoire ixellois revêt une importance particulière. Ces jeunes, héritiers de cette expérience multiculturelle, en portent à la fois la mémoire et l’avenir. Leur capacité à transmettre cet héritage aux générations suivantes déterminera largement la pérennité de cette construction originale. Leur regard, formé dès l’enfance à cette réalité multiple, apporte une profondeur particulière à cette réflexion sur l’identité communale.

Il est bien clair et évident que cette expérience ixelloise pose également des questions théoriques fondamentales sur la nature même de l’identité collective. Comment définir l’appartenance à une communauté lorsque celle-ci se caractérise précisément par sa diversité ? Cette apparente contradiction révèle peut-être une évolution profonde de la notion d’identité territoriale, qui pourrait bien préfigurer l’avenir de nos sociétés urbaines. En ce sens, Ixelles ne constitue pas seulement un cas d’étude sociologique intéressant, mais peut-être un laboratoire de l’avenir démocratique.

Références bibliographiques

Martiniello, Marco. La diversité culturelle dans les villes européennes : enjeux et perspectives. Bruxelles : Éditions de l’Université libre de Bruxelles, 2019.

Rea, Andrea et Tripier, Maryse. Sociologie de l’immigration. Paris : La Découverte, 2008.

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